CASAS a trente-cinq ans d’histoire
Le Service Social d’Aide aux Emigrants, la CIMADE, le Secours Catholique et Amnesty International à Strasbourg faisaient, chacune de leur côté, le constat d’une action insuffisamment spécialisée de leurs structures en direction des demandeurs d’asile rencontrés. Travaillant ensemble, des membres de ces organismes décident alors de créer une association moins institutionnalisée qui se consacre spécifiquement à la problématique de l’asile : CASAS nait le 28 décembre 1983, soit trois jours avant l’année 1984, ce qui explique que son trentenaire ait été fêté en 2014.
CASAS a connu, à ses débuts, des conditions matérielles quasiment héroïques puis moins difficiles les années suivantes mais, dans le même temps, une dégradation du contexte général pour les étrangers et les associations qui les aident, et des modifications profondes intervenues dans le droit d’asile.
Evoluer dans un contexte qui se dégrade
S’il est bien une chose qui ne risque rien à CASAS, c’est la mise à l’épreuve de nos capacités d’adaptation. Si nous comptons bien, il y a eu depuis la création de l’association quelque dix-neuf modifications législatives successives, soit plus d’une tous les deux ans. La première, datant de 1985 soit dix-huit mois seulement après la création de CASAS, marquait, selon Olivier Brachet, l’entrée en crise du droit d’asile, crise qui n’a cessé de se développer depuis.
Les autres temps forts de ces modifications législatives incessantes ont été :
- la loi de 1993 introduisant dans le droit français la législation européenne Schengen-Dublin sur les états responsables de la décision sur l’asile,
- l’ordonnance du 24 novembre 2004 qui crée un code spécial pour tout ce qui concerne les étrangers et le droit d’asile, le CESEDA, en vigueur depuis le 1er mars 2006
- et d’importantes modifications successives en 2003, 2007, 2015 et 2018
CASAS a dû évoluer dans ce contexte mouvant. La première présidente, Claire Matteoti, a été suivie de neuf autres, à parité totale puisque CASAS a été présidé par cinq femmes et cinq hommes.
Les premières permanences avaient été abritées par la CIMADE mais très vite l’association a déménagé dans la maison jaune du quai St Nicolas, d’ailleurs suivie peu de temps après par la CIMADE. Une grosse opération de rénovation immobilière, menée à bien par Freddy Sarg, le président de l’époque, nous a permis d’améliorer sensiblement notre cadre d’action, de troquer les poêles à charbon à charger tous les matins, et dont les cendres devaient être vidées, contre des convecteurs électriques bien plus souples dans leur utilisation. Ce fut au prix de quelques bouteilles de la cuvée « Casalis » que chacun s’est appliqué à vendre….et à boire, pour aider à financer la rénovation. La « maison jaune » évoquée dans le film « Les éclaireurs », mais baptisée en fait « Maison Georges Casalis » naissait.
Nos salariés, stagiaires et bénévoles
Peu de temps avant, en 1991, nous venions de recruter la première salariée pérenne, grâce aux subventions accordées par la Mairie de Strasbourg. Devenue la cheville ouvrière de CASAS, Pascale Adam-Guarino atteindra bientôt les trente ans au service de l’association. Le plus étonnant est que nous n’ayons pas réussi à lui faire perdre ni son sourire ni son enthousiasme !
Malgré des recrutements divers de salariés qui, même sans être à plein temps, ont atteint le chiffre respectable de huit au meilleur des finances de l’association, cette dernière n’aurait jamais pu exister sans les bénévoles qui l’ont fait fonctionner pratiquement sans aide pendant sept ans, puis qui ont assuré des tâches de traduction, de rédaction, d’enseignement, d’accueil, de travail administratif et d’animation avec une fidélité, un professionnalisme et un sens des responsabilités qui n’ont jamais fléchi durant toutes ces années. Bien des fois, ce sont des personnes aidées par CASAS qui ont souhaité par la suite lui venir à leur tour en aide !
Du reste, c’est un des miracles de CASAS que cet engagement continuel de nouveaux stagiaires et de bénévoles, alors même que le vent a tourné et que nous luttons actuellement pour notre survie. Le contexte de l’accueil des demandeurs d’asile s’est considérablement durci depuis la création de l’association et, à bien des reprises, CASAS a dû monter au créneau pour défendre, dans la mesure du possible, des conditions à peu près décentes pour l’hébergement et l’accueil des exilés. Les «accompagnateurs» qui aident à la mise en forme des recours s’appellent ainsi parce qu’à l’origine, ils accompagnaient les demandeurs d’asile à la Préfecture pour que leur dossier soit pris en compte. Nous avions remarqué que des personnes aux cheveux blancs respectables étaient les plus efficaces dans ce domaine.
De nouvelles missions et de nouveaux contextes
Par la suite, ce sont surtout les conditions d’hébergement qui ont provoqué des manifestations de protestation, des interventions auprès d’élus ou d’officiels, avec plus ou moins de bonheur selon les périodes. Mais les résultats ont été incontestables même s’ils n’étaient pas toujours à la hauteur des besoins. Simone Fluhr, une de nos anciennes salariées, y a beaucoup contribué, entre autres avec les films qu’elle a inspirés et/ou réalisés avec Daniel Coche, dont le dernier concernant notre travail, «Les éclaireurs ».
Les relations avec les administrations et l’Etat se sont transformées. Les subventions européennes nous ont donné bien du fil à retordre et c’est en 2012 que nous avons cessé d’être un partenaire officiel pour ne devenir qu’un sous-traitant local. Cela nous a contraints à devoir nous contenter de quatre salariées, dont une en CDD et à temps partiel. Pour l’instant nous nous battons pour essayer d’assurer, dans des délais souvent difficiles à tenir, uniquement les recours et des réexamens.
Nous ne pouvons plus assurer l’aide à la rédaction du premier récit qui se fait actuellement dans des plateformes complètement débordées par les demandes et trop sous-dotées pour y répondre de façon satisfaisante. Si pour le moment nous y parvenons à peu près, c’est bien grâce à la conviction et au dévouement des salariées et à l’engagement sans faille des bénévoles : qu’ils en soient ici tous très chaleureusement remerciés.
Nous avons quitté avec nostalgie en 2015 la « maison jaune » qui nous avait si longtemps abrités pour la Maison protestante de la Solidarité. Nous sommes toujours voisins de la Cimade mais maintenant aussi de la SEMIS et du Centre Social Protestant avec qui nous travaillions depuis longtemps. Nous ne sommes plus du tout soutenus par des fonds d’Etat, pourtant seul compétent dans le domaine de la demande d’asile, et nos seules ressources sont désormais l’aide des collectivités locales et surtout des dons privés, en argent et en temps également.
En matière juridique, nous pensions avoir touché le fond avec la réforme de 2015, censée transcrire dans le droit français les directives européennes sur l’accueil, alors qu’environ la moitié des demandeurs d’asile ne disposent toujours pas d’hébergement. Mais la récente réforme est arrivée à pousser encore plus loin les demandeurs dans la précarité : délais de rétention allongés sans égard pour l’absence d’efficacité et le coût de ces délais, choix trop précoce d’une langue obligatoire et non modifiable, audiences en visio-conférence, privant du contact réel et si important lorsqu’on parle d’événements traumatisants, recours non suspensifs, etc.
Nous avons aussi adapté notre action en démultipliant les interventions individuelles ou en tout petits groupes pour le suivi scolaire ou l’apprentissage de la langue, les actions culturelles et les sorties, tout en continuant l’accompagnement administratif et juridique au travers de nos permanences. Si l’avenir ne semble pas peint en rose, nous faisons confiance à nos équipes et à nos capacités d’adaptation pour pouvoir continuer à rendre plus sûr et plus humain le parcours des demandeurs d’asile qui arrivent dans notre région.
Alice Chavannes
Mars 2019